Marcel Rieder fit son éducation artistique à l’École des Beaux-Arts de Paris. Il fut admis en mars 1882, le mois de son 20ème anniversaire. Il suivit les cours d’Alexandre Cabanel. Les anciens élèves de l’école devenaient souvent membres de La Société des Artistes Français. Marcel Rieder intégra cette société en 1894. Le Salon de Paris était une exposition annuelle organisée par cette société. Il y exposa entre 1883 et 1939, c’est-à-dire pendant 57 ans!
Les organisateurs du Salon décernaient aussi des prix et des médailles pour différentes activités, comme la peinture, le dessin, la sculpture, etc. Marcel Rieder fut gratifié en 1898 et 1899. Il s’est vu décerner la médaille de bronze en 1900, année de l’exposition universelle à Paris. Après une médaille de bronze, d’argent ou d’or, les candidats continuaient à exposer, mais ils étaient « hors concours ». Cela ouvrait les portes à de nouveaux talents. Un des avantages du Salon était de documenter ce qui était exposé dans des catalogues, des revues artistiques, etc. Ces documents représentent d’excellentes sources sur la vie des artistes.
Marcel Rieder voyageait, et quelque en soit la raison, il travaillait toujours. En tant que peintre, il lui était facile de prendre son travail avec lui. Il passa beaucoup de temps dans différents endroits de France. Aux alentours de 1898-1905, il se rendit plusieurs fois à La Frette, une petite ville sur la Seine. Là, il peignit plusieurs tableaux, comme « Intérieur à La Frette ». De 1900 à 1925, il passa plusieurs semaines en été avec des amis à St Enogat, une petite ville de la côte de Bretagne. Il voyagea en Hollande en 1897, puis en Italie en 1904 car c’était “là que les grands maîtres vivaient”. Il alla aussi en Alsace pour voir sa famille et sur la Riviera pour voir celle de Marion. Au cours de ses voyages, il se plaisait à visiter les musées et à y rencontrer des artistes.
Au cours de ses quelques 57 années de carrière, on peut constater une transformation, principalement sur le sujet de ses tableaux. Plusieurs de ses premiers tableaux exposés au Salon étaient des portraits. Capable de représenter tout ce qu’il pouvait voir, c’était un talentueux portraitiste. Ces tableaux sont difficiles à trouver et la raison en est très simple. La plupart du temps, les portraits restent au sein de la famille et sont rarement mis en vente comme les autres œuvres artistiques. Donc, la plupart des portraits qui ont pu être trouvés appartenaient à des membres de sa famille.
Les portraits sont aussi une bonne source de revenu pour un artiste débutant sa carrière. Au début, avant qu’il n’ait 32-34 ans, on peut observer l’influence de son éducation par les sujets allégoriques qu’il choisit. Par exemple, certains tableaux qu’il exposa au Salon comme « Dante pleurant Béatrice », en 1894.
Vers les années 1895, il changea de sujet. Il peignit des scènes d’intérieur, avec des personnages, souvent féminins, près d’une source de lumière. Il devint célèbre grâce à ses effets de lumière. On le qualifie de “peintre de genre”. C’est-à-dire qu’il peignait des scènes de la vie quotidienne, par opposition aux peintres choisissant des sujets religieux, historiques ou allégoriques. Il peignait souvent ce qui était autour de lui et on peut suivre sa vie dans ses tableaux. Vers 1900, les membres de sa famille à Paris avaient un « club » informel. On se réunissait pour parler de différents sujets comme la science, les événements politiques, la vie moderne, pour y jouer de la musique ou lire. Marcel Rieder aimait cette ambiance qui lui inspira plusieurs tableaux représentant un groupe à l’intérieur, jouant de la musique, discutant, etc.
Il eut un fils en 1906, ce qui l’inspira pour de nombreux tableaux représentant la vie familiale. En fait, on peut même dater un tableau grâce à l’âge de l’enfant. Dans les années 1919-1920, il alla au bord du lac d’Annecy, dans les Alpes. Plusieurs tableaux ont été réalisés là-bas. On peut aussi reconnaître la maison de Busseau dans les toiles ultérieures.
L’artiste au travail
Pour chaque œuvre, Marcel Rieder faisait beaucoup de travail préparatoire.
Pour chaque œuvre, Marcel Rieder faisait un croquis en dimensions réelles pour placer les composants principaux. Un exemple est donné à gauche. Ce croquis correspond au tableau « Jours heureux » exposé au salon de 1907. Voir la sélection.
Comme la plupart des artistes, il préparait beaucoup d’études : une figure, une position, quelquefois avec une partie du meuble qui modifiait la position. Un exemple est le dessin de la femme au centre. C’était pratiquement toujours des dessins au crayon sur papier. Même son fils, à l’âge de 6 ans, faisait des « études » : un pied, une main, etc.
À droite, une autre phase de préparation, cette fois-ci faite à l’huile sur bois. La plupart des éléments du tableau sont là, mais assez grossièrement, avec peu ou pas de détails. Remarquez, par exemple, que le visage de la femme au centre n’est pas fait. Cette esquisse correspond au tableau exposé à l’exposition universelle de 1900. Ce genre d’esquisse donnait une autre idée de ce qu’allait être l’œuvre finie.
Maintenant vient ce que nous appelons la technique, ou le talent de l’artiste. Une des expressions que Marcel Rieder aimait était : « Si le tableau d’une chute d’eau est bien fait, on doit entendre l’eau tomber. » Bien sûr, c’est une exagération. Mais l’idée est là. Quand on admire une œuvre d’art, on doit avoir une perception profonde, l’art doit nous « parler ». Un sujet bien compliqué en fait !
L’art de Marcel Rieder
Voici plusieurs exemples de Marcel Rieder : détails et images complètes. Le premier montre comment quelques coups de pinceau rendent une peau brillante.
À gauche, le portrait d’un enfant. Bien sûr sa peau est brillante comme il se doit. Pour accentuer cet effet, sa bouche a été agrandie. On peut alors remarquer les coups de pinceau donnant l’effet de brillance : une petite tache blanche entourée par un rouge plus clair. Agrandie, cette partie de l’image n’a pas beaucoup de sens. Voilà comment on voit une image à partir de détails.
Un autre exemple montre comment représenter les mailles de la dentelle des rideaux. Voir aussi l’image du tableau dans la « sélection ».
Autre exemple : le chat et le chien. Le chat était vieux. Le jeune chien lui volait sa pâtée. Ce dernier fut discipliné : « laisse le chat manger tranquillement ! » Le chien obéissait, mais il regardait toujours d’un air très intéressé le chat manger. Le petit panneau raconte bien l’histoire. On pourrait penser que pour rendre « le regard très intéressé » du chien, il fallait faire attention à la représentation de l’œil. Mais si on observe bien, l’œil du chien n’est qu’une tache noire qui se fond dans la fourrure. Isolée, cette partie de l’image ne ressemble pas du tout à un œil !
Comparaison de l’œil du chien. À gauche, la composition et la posture montrent un regard intéressé pour la soupe du chat. Par lui-même, l’œil du chien n’est qu’une tache noire. C’est l’ensemble de l’image qui donne du sens aux détails.
Comment la composition donne un regard intéressé
On peut voir beaucoup d’autres aspects de l’œuvre de Marcel Rieder. En voici encore quelques exemples.
Dans les deux images ci-dessus, on peut voir des exemples de postures et d’expressions. L’image de gauche est tirée d’un tableau majeur. Les positions, expressions, tout indique ce qui se passe : une femme enseigne à une petite fille comment tricoter, et la petite fille semble très intéressée. L’image de droite est tirée d’un petit panneau. Bien que l’on ne distingue pas beaucoup le visage de l’enfant, son expression est celle d’une élève de 4-5 ans qui doit se concentrer pour former ses lettres. Même l’ours en peluche est expressif.
Ces quelques remarques n’ont pas la prétention de décrire complètement l’œuvre de Marcel Rieder, mais plus simplement de donner des exemples de son travail. Il donne l’impression d’avoir toujours un crayon ou un pinceau dans les mains. N’importe où, n’importe quoi pouvait être une source d’inspiration pour un dessin, une aquarelle, un petit panneau, que ce soit en voyage, dans un train, en ville, ou en visitant un ami. Il a laissé aussi quelques surprises : en ouvrant une boite vraiment quelconque, on y a trouvé un dessin de chat à l’intérieur du couvercle !
Il aimait marcher, souvent accompagné. Marcher est très sain, mentalement et physiquement. Quand on est seul, on pense, en compagnie on parle. En même temps, on peut observer la nature. Lors de ses promenades, il s’arrêtait souvent pour faire un croquis rapide, une aquarelle et, quelques fois, il faisait une peinture à l’huile.
Avec ses talents, quels étaient ses sujets préférés ?
Voici une description rapide de son œuvre. Marcel Rieder était connu pour ses effets de lumière. Dans ses tableaux, on peut souvent voir un ou plusieurs personnages, principalement féminins. La source d’éclairage peut être une lampe éclairant un meuble. Cette source est plus douce, plus intime que la lumière du jour ou celle d’un lustre qui éclaire toute la pièce. Est-ce une réminiscence de l’atmosphère confortable créée par un feu dans les bois des temps anciens ? Pendant la journée, il fait clair pour travailler. La nuit, il fait sombre pour dormir. Entre les deux, le feu donne une faible lueur, suffisante pour bouger mais insuffisante pour travailler. Dans la pénombre, on pense, on rêve, ou un peu des deux. Une partie seulement de l’entourage est éclairée. On peut avant tout voir le visage, cette partie de l’être humain qui exprime les émotions, la porte de l’âme, celle qui dit « parle-moi ».
Quand il était à Annecy, dans les Alpes, Marcel Rieder peignait souvent le lac. La réflexion de la lune sur l’eau renforçait l’ambiance mystérieuse du soir. Ses tableaux étaient exposés et vendus en Europe, en Russie, en Amérique du Nord et du Sud, en Asie. Des cartes postales étaient éditées pour la plupart de ses tableaux exposés. Ces cartes étaient traduites en 3, 4 voire 5 langues ! En 1910, Seattle célébra ses débuts de grande ville avec 300 000 habitants par l’exposition « Pacifique-Yukon ». Lors d’une exposition d’art, Marcel Rieder obtint la médaille d’or ! Un de ses tableaux acquis par un Américain a été donné au musée d’art Cantor de l’Université de Stanford. Si on analyse le marché de l’art, on trouve des tableaux en vente en Europe, dans le Montana, en Amérique du Sud, etc.
À quelle école appartenait-il ?
Une question souvent posée : à quelle école d’art appartenait-il ? La réponse à cette question donne une bonne perspective sur l’œuvre de l’artiste. Est-ce que Marcel Rieder est un artiste moderne ? Oui, parce que c’est un artiste et qu’il vit à l’époque moderne. S’il est rarement qualifié de “moderne”, c’est parce que ce terme est mal à propos. Il y a eu et il y a beaucoup d’artistes maintenant qui adorent son art. Mais pour des raisons difficiles à comprendre, ces gens ne font pas partie de l’école « art moderne ».
Est-ce un problème ? Oui. Le vocabulaire influence la pensée. Associer l’art moderne uniquement avec le genre Picasso crée beaucoup de confusions. Certaines personnes disent (et pensent !) : « je ne comprends pas l’art moderne ». N’est-ce pas un problème social quand ces personnes sont désorientées par l’art ? S’ils ne comprennent pas l’art de leur époque, c’en est un. Quelqu’un qui pense : « je ne comprends pas cette partie de l’art moderne comme le genre Picasso » comprend mieux les temps modernes. Une conception de l’art plus en phase avec la réalité serait utile à beaucoup de gens.
Cependant, quand quelque chose n’est pas bien, c’est relativement facile à contrecarrer. La difficulté est de faire face à un mélange, une confusion, une mauvaise terminologie.
Durant les deux derniers siècles, l’art, comme beaucoup d’aspects de la société, a changé dramatiquement avec de bons ou de mauvais résultats, et ces changements se perpétuent. Il n’est pas facile de donner une date précise du commencement. Au début, les changements n’étaient pas très conséquents, mais petit à petit, ils sont devenus très puissants et ont complètement bouleversé notre monde. Ça a commencé avec des idées, celles-ci ont conduit à des réalisations comme l’exploration du monde, l’industrie, la médecine, etc. L’analyse de ce phénomène est trop compliquée et va bien au-delà de notre traité. Cependant, quelques mots nous aident à comprendre certains courants de pensées sur l’art contemporain.
Tout d’abord, observons rapidement les changements qui ont affecté l’art d’une manière substantielle, directement ou indirectement.
La photographie : Du point de vue d’un peintre, la découverte la plus importante est la photographie. Imaginez que vous ayez mis toute votre énergie à faire des images du monde qui vous entoure et que ce soit aussi votre métier. Quelqu’un invente une petite machine pas chère, facile à utiliser et qui fait des images très réalistes : c’est une menace sérieuse. En voici un simple exemple : en 1800, si vous vouliez savoir à quoi ressemblait une ville chinoise et comment les habitants s’habillaient, il fallait un artiste (illustrateur). Plus tard, l’appareil photo a remplacé l’artiste !
Nouveaux matériaux et architecture : Avec les nouveaux matériaux comme l’acier et le ciment, il faut une nouvelle architecture. Pour construire un gratte-ciel, l’architecture grecque ne fournit plus une inspiration suffisante. Il y avait besoin « d’une nouvelle architecture ». C’est un domaine proche de la peinture.
Découverte de nouvelles formes de lumière : De nouvelles formes de lumière sont découvertes : les rayons X, les ondes radio. Cela veut dire que l’on ne distingue qu’une partie de la réalité. Avec les rayons X, on peut observer des choses que l’œil seul ne peut pas voir. Les ondes radio sont un autre exemple : elles existent partout, mais il faut un équipement spécial pour les détecter, autrement on n’en est pas conscient. Donc, on ne voit pas toute la réalité. Là encore, la pensée traditionnelle est montrée incomplète sans être fausse pour autant.
Transformation du marché de l’art : Le marché de l’art a été complètement transformé. Avant 1800, la plus grande partie du marché était tenue par l’église et les aristocrates. Maintenant, des millions de gens qui ont du temps et de l’argent veulent l’apprécier. Ils sont plus intéressés d’accrocher un paysage pour décorer leur salle à manger plutôt que le dieu grec Apollon ou la création biblique du monde.
Perception et interprétation : En ce qui concerne la façon dont on perçoit, au 19ème siècle on commença à découvrir que l’homme actuellement ne « voit » pas le monde, mais “l’interprète”. Voir ci-dessus, le cube Rubik. Tout cela contribuait à « changer ».
Certains changements sont positifs. Les architectes peuvent concevoir de nouveaux bâtiments en verre, en ciment, en fer. Les décorateurs ont des idées pour améliorer le confort des avions, etc. On admire un coucher de soleil, une véritable explosion magique de couleurs pour nous dire « bonsoir », mais ce ne sont que des couleurs sans signification particulière. Alors pourquoi ne pas les utiliser à notre guise, sans qu’elles aient besoin de représenter autre chose ?
Un dessin est une abstraction que notre esprit utilise pour représenter le monde qui nous entoure, mais jusqu’où peut-on pousser cette abstraction ? Mais tous les changements n’ont pas été aussi utiles. L’art moderne créa un concept prétendant que « le talent n’est pas nécessaire ». Les règles qui régissaient l’art se sont effondrées et une fois la palissade démolie, le résultat se transforma en une espèce de ruade désordonnée. Les “écoles d’art » bourgeonnent au point de nous en décourager.
Alors maintenant pour répondre à la question : « à quelle école appartenait Marcel Rieder ? » Fait étrange, avec quelques centaines d’écoles à l’époque moderne, on dirait qu’il n’y en a aucune à laquelle il appartienne. Dans la tempête créée par les idées modernes, il continua sa vie, faisant bon usage de ses talents, ayant confiance en lui-même, en ses valeurs, espérant que l’aspect négatif de la vie moderne ne soit pas trop destructif pour lui. Et il n’était pas seul. Il y eut beaucoup d’artistes comme lui, et beaucoup de gens qui les admirent.
N’oublions pas son côté humoristique. Il cherchait la perfection, il le disait et on peut le constater dans ses œuvres. Au cours des dernières années de sa vie, il se rendait compte qu’il perdait ses moyens. Ses mains commençaient à trembler, sa vue baissait. Néanmoins, il continua à peindre, non pas pour le public mais pour lui-même. Conscient de la qualité de son travail qui se détériorait, il écrivit dans une lettre à son fils : « Si mes amis voient ce que je fais maintenant, ils vont penser que je suis devenu fou et devenu impressionniste ! »