Marcel Rieder appartient à une famille d’obédience protestante authentique ; son grand-père, Jean-Jacques, était successivement pasteur à Colmar, Wesserling, Gertwiller et finalement au « Temple
Neuf » à Strasbourg. Or, la prédication n’est pas la seule façon pour un bon protestant de répondre à l’appel de Dieu, l’autre consiste à faire fructifier le talent que le Seigneur lui a confié, selon l’im- périeuse parabole évangélique : travailler à être riche pour Dieu ; la richesse étant moralement permise et effectivement ordonnée. C’est, avec l’esprit de responsabilité qui en découle, la voie que les fils de Jean-Jacques ont suivie, soit comme chef d’entreprise ou comme diplomé de la prestigieuse Ecole Normale Supérieure, ses petits-fils devenant hommes d’affaires.
Marcel Rieder n’est pas en reste. Il cultive et développe son réel talent d’artiste peintre, ce qui lui vaut, dès 15 ans un 1ᵉʳ prix à l’Ecole d’Art de Mulhouse et ensuite d’être admis à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris où il devient l’élève d’Alexandre Cabanel. Il a juste vingt et un ans quand il expose pour la première fois. C’était en 1883. Une autre passion anime Marcel Rieder, la musique. Excellent pianiste, il est également choriste au sein de la Société Bach. C’est l’occasion de rencontrer Albert Schweitzer qui tient l’orgue et dont il réalise plusieurs portraits. Originaire de Thann, Marcel Rieder est un Alsacien de souche qui, comme beaucoup d’autres a dû s’exiler pour suivre ses parents à Paris après l’annexion de 1870. Ses racines étaient bien ancrées dans la terre natale. Sa famille y avait tissé des liens solides : son grand-père rédigea une biographie de Théophile Conrad Pfeffel, véritable figure de la piété protestante des Lumières et rencontra Goethe. Son oncle Amédée s’était associé au manufacturier Jean Zuber fondant la papeterie Zuber-Rieder, à la Commanderie de Rixheim. Son grand-père maternel avait racheté la filature Koechlin de Bitschwiller-lès-Thann.
En 1903, avec Marion, sa jeune épouse, il fonde un doux foyer dans lequel règnent la bienveillance et l’amour, dont ils comblent leur fils, Jean, né en 1906. Ils sont installés, Rue du Pot de fer, à Paris dans le 5ème arrondissement, entre le Jardin du Luxembourg et le Jardin des Plantes. En 1927, il a alors 65 ans, il se retire à Busseau, un hameau idyllique situé près de Villiers-sous-Grez, dans la forêt de Fontainebleau, où son ami le peintre Victor Tardieu possédait déjà une villégiature de campagne. La curiosité intellectuelle et le haut niveau culturel du couple Rieder attire à lui des personnalités telles que le violoniste mulhousien Daniel Hermann, Anna et Henri Zuber, Augustin Zwiller, le poète Maurice Bouchor…
Contemporain de Jean-Jacques Henner et de Jean et Emmanuel Benner, Marcel Rieder appartient comme eux à la tradition classique, à la «vieille Ecole», relégué, à tort, par certains critiques au rang des «pompiers», alors que son «Dante pleurant Béatrice» est un authentique chef-d’œuvre devenu célèbre.
Pourtant, Marcel Rieder connaîtra une véritable métamorphose grâce au succès d’un tableau présentant son voisin de palier émergeant d’un clair-obscur digne de Rembrandt et de la rencontre du peintre danois Johansen bien connu pour ses tableaux d’intérieur et ses scènes familiales.
«Le vrai Rieder» est né. Il est devenu le peintre des nuits et des crépuscules, le peintre de l’heure exquise… Il a suivi la marche du progrès des moyens d’éclairage, jusqu’à peindre un éclairage indirect dont le foyer lumineux est absent de la toile…
L’éclairage étudié «directement», selon sa formule, a doté Marcel Rieder d’une palette éprouvée qui décline les mille et une nuances de la lumière. Il en a banni les couleurs qui durcissent l’effet. Ses ciels crépusculaires sont obtenus par de savantes nuances de teintes.
Ses scènes d’intérieur, ses portraits révèlent un observateur d’une sagacité infaillible. Les postures, les expressions de ses modèles sont saisissantes de vérité et de sensibilité : elles nous parlent, nous devinons leurs pensées…
L’envie de peindre ne le quitte pour ainsi dire jamais. En voyage, en promenade, car il aimait mar- cher, il profite de toutes les opportunités pour réaliser un dessin, une encre, une aquarelle, parfois sur des supports inédits comme le couvercle d’une boîte de cigares. Sa spontanéité, son style elliptique font alors des merveilles.
La «Belle Epoque» était propice à l’intimisme. Cependant, si Marcel Rieder est, dès 1897, devenu un peintre intimiste, ce n’est pas pour se mettre à la remorque d’une mode. C’est son penchant naturel qui le porte vers les thèmes de l’existence familière quotidienne, des scènes d’intérieur. Il est désormais le peintre de la douceur de vivre qu’il s’attache à exprimer de manière nuancée, lui consacrant sa sensibilité optique et sentimentale qui est celle d’un poète, mais, celle aussi, d’un père aimant. Les lettres à ses enfants installés à Talloires, au bord du lac d’Annecy, le prouvent. Outre les chaleureux décors bourgeois, ce sont justement les rives du lac d’Annecy, et notamment Menthon – Saint Bernard qui lui offrent le cadre idéal pour exprimer son émouvante puissance évocatrice.
Artiste qui a conquis son indépendance par rapport à toutes les Ecoles, Marcel Rieder est un homme libre. Il a compris que la liberté est la condition nécessaire à la créativité. Il a su rester résolument lui-même.
Le charme irrésistible de son œuvre ne réside pas seulement dans son plaisir de peindre, mais aussi et surtout dans l’expression de l’amour qu’il éprouve envers sa famille, ses amis et la nature qui l’entoure. Son œuvre est un partage.
François Walgenwitz